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Burlat
Dans « Le nom des choses », le poète Claude Roy écrivait ceci: « Je nomme toutes les choses dont j'ai appris les noms en vivant et seuls l'arbre ou l'oiseau ou la fleur dont je ne sais comment ils s'appellent me font souci, me font silence et grise mine ».
Savoir reconnaître le petit nom « Burlat » de celui d'un simple cerisier, c'est déjà prendre conscience de son existence, d'entrer en communion avec lui, de le respecter, et commencer à comprendre son rôle, dans le parfait équilibre des choses vivantes que nous croisons du regard chaque jour de notre propre courte vie.
Je suis née en 1964 dans la campagne charentaise aux confins du Périgord-Limousin. Je fus replanté en Haute tige de 3 ans à la Sainte Catherine du 25 novembre 1967, par un très jeune « Canardjaune » à l'époque. Il prodigua à mon égard ses plus grandes attentions afin que je devienne un bel arbre fruitier nommé « Burlat ».. L'attente d'une belle récompense ne se fit pas prier. Dès 1968 au cœur des événements chauds sur les pavés du limousin émigrés en pavés parisiens, les premières burlats craquantes et fondantes glissèrent dans le palais des goûts de son planteur. Dès lors nous avons cheminé ensemble en choisissant chacun sa voie. La mienne rivée à jamais sur ce petit lopins de terre "spanacien", j'ai grandi année après année, dans un et sur un, sol riche et profond.
Quelle fut belle ma vie de cerisier en ce coin de douce France. Tous les ans mes branches croulais sous les « burlats » et mon compagnon planteur s'appliquait à en récolter sa part quelque peu méritée. Le reste de mon abondante production s'offrait aux merles rieurs et chanteurs, glaneurs de printemps. Mais voilà, un beau jour de 2018, mon pote âgé, un peu fatigué de vie, s'est résigné et dû me céder à une nouvelle propriétaire. Cette inconnue du lieu, ne sachant me nommer, vit en moi un simple arbre chose, objet matériel, sans aucun lien d'attache charnelle. Dès lors dans sa tête je devais disparaître. Le 04 mai 2019, après 55 années de bons et loyaux services, je suis mort en quelques minutes , de mort non naturelle, sous les dents acérées d'une bruyante tronçonneuse. Mes fruits de 2019 en formance bien verts jetés à terre n'aurons pas eu le plaisir de régaler le palais de ce nouveau personnage pas encore en racines profondes avec la vie. Ici, les sansonnets n'auront plus rien à se poser sous le bec. C'est ainsi que peu à peu se réduisent les beaux maillons de vie sur fragile planète Terre.
Bon 8 mai 2019 à toutes et tous.
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Commentaires
Bonsoir j'aie lue et apprécié cette belle histoire bravo et merci pour ce beau partage et très belles photos bonne soirée bisou Claudine Daniel
Beau texte émouvant, La mort d'un arbre, surtout d'un fruitier, un abatage, le mot est juste, me fait toujours de la peine. Il m'est arrivé d'en couper, qui étaient presque morts, mais j'en ai replanté, plein. J'aime les arbres.
Quel bel éloge de cet arbre. Moi aussi, j'aime les arbres de mon jardin. Il m'arrive de les enserrer pour avoir un peu de leur chaleur. Nommer chaque vivant est le respecter. La nature mérite ce respect et aussi l'humilité..Bonjour,
Votre texte est magnifique. Mi-lumineux, mi-sombre. Il raconte le temps qui passe et les temps qui changent. Merci, tout simplement, pour ce moment de pure poésie.
Bonjour, c'est bien triste, et il en va ainsi pour toutes les espèces vivantes de la planète, sauf l'homme bien sûr, pour le moment; je te souhaite une bonne journée, bisous
J'aime beaucoup cette citation de Claude Roy ! Pour moi aussi, nommer ce que je vois est d'une très grande importance.
Je vais rechercher d'où cette citation est extraite.
Merci et bonne journée.
Pouvez-vous m'indiquer si ce poème est dans le livre de Claude Roy A la lisière du temps ? Merci.
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Je suis bien d'accord : nommer les choses et surtout les vivants, c'est entretenir un lien intime avec eux, une connivence ! C'est beau ce texte en hommage à ce Burlat généreux. Est-ce toi qui l'as "cédé"? Non, je pense. la photo de cette belle maison est-elle celle de la maison du Burlat?